À Paris, le 28 décembre 1994 à seize heures trente
est née La tortue-lièvre.

Le petit hybride surréaliste a pris son premier repas
à seize heures quarante-cinq.

Ce repas se composait de feuilletés pralinés et de muscadet.

Raymond Lacombe, La tortue-lièvre
Bronze et papier mâché, 1996
(Photo : Roberto de Farias)

La tortue-lièvre

Longtemps après la disparition de la revue Phases, Édouard et Simone Jaguer ont souhaité avec Pierre Boulay et Gilles Petitclerc poursuivre ce qui avait été mis en veilleuse pendant un certain temps en soutenant une revue qui allait recréer une relation avec le Québec. La tortue-lièvre allait être ainsi le chaînon manquant à une activité Phases déjà bien ancrée au Canada grâce à des revues telles que Melmoth, Scarabeus ou encore l’Œuf philosophique. La tortue-lièvre tout comme la galerie Lumière Noire allaient ainsi servir d'antenne au mouvement Phases au Québec.

La tortue-lièvre, née d'une rencontre au 24 de la rue Rémy-de-Gourmont à Paris entre Édouard et Simone Jaguer, Pierre Boulay et Gilles Petitclerc, le 28 décembre 1994, va paraître pour la première fois à Montréal en février 1995. D'abord Bulletin de la galerie Lumière noire, elle devient à la fermeture de cette dernière en mai 1996 une revue à part entière. Le petit hybride comme se plaisait alors à la surnommer ses concepteurs fera paraître de février 1995 à décembre 2010, quatre-vingts numéros au rythme de 5 numéros par année. Elle paraît ainsi avec la même régularité pendant seize ans. Deux numéros paraissent chaque automne et trois au cours de l'hiver et du printemps. Le tirage de la revue variera au fil des années de cinq cents exemplaires au début, il sera de cent-vingt-cinq pour les deux derniers numéros. Parmi ses numéros thématiques, on retiendra entre autres, le numéro portugais qui doit tant à Arthur Cruzeiro Seixas et les numéros consacrés aux décès respectifs d’Édouard et de Simone Jaguer.

Pendant ces seize années, La tortue-lièvre sera le fruit d'une grande complicité entre Édouard et Simone Jaguer, Pierre Boulay et Gilles Petitclerc. La revue, à chaque parution imprimée sur un papier de couleur différente, cessera de paraître à la mort de Simone Jaguer. Seuls quelques numéros dont le contenu avait antérieurement été défini paraîtront par la suite. 

La proximité de La tortue-lièvre et de la revue Phases est telle que non seulement on y retrouve les écrivains, les poètes, les peintres, et les sculpteurs jadis défendus dans la revue Phases, mais aussi les belles vignettes qui illustraient la revue.  Édouard et Simone Jaguer tenaient à ce que la parenté des deux revues, bien que de factures fort différentes, soit évidente.

 

C'est de façon consensuelle, dans le cadre d'échanges lors des passages à Paris de Pierre Boulay et de Gilles Petitclerc que se décidait le contenu de chaque numéro, contenu qui visait essentiellement la découverte ou la redécouverte, la reconnaissance des écrivains, des poètes, des peintres et des sculpteurs défendus leur vie durant par Édouard et Simone Jaguer. Pour eux, La tortue-lièvre devait témoigner des grandes amitiés qui ont jalonné l'aventure du mouvement Phases de 1952 à 2009. Il fallait poursuivre la défense des amis en leur assurant, même modestement, une vitrine.

L'amitié n'a eu cesse de définir le contenu de La tortue-lièvre. Le souvenir de l'un, le goût de faire plaisir à un autre bref, le désir de maintenir vivant l'apport des uns et des autres au dynamisme du mouvement Phases, tel était le but poursuivi par les quatre amis.

Partageant généreusement leur important fonds d'archives, mettant à profit leur vaste réseau de contacts, Édouard et Simone Jaguer ont ainsi proposé pendant toutes ces années à La tortue-lièvre la nourriture nécessaire à sa subsistance. Cette dernière leur doit donc énormément. Comme suite à un amical coup de fil ou à une missive rappelant les riches heures du passé, les amis de Phases ont généreusement expédié à Montréal à l'intention de La tortue-lièvre une extraordinaire quantité, de textes, de poèmes, voire d'œuvres, le tout dans l'unique but de nourrir le petit hybride impossible à rassasier. Jamais, il n'a été question de droits d'auteur, ou de redevances. L'amitié et le plaisir de participer à une activité collective auront été déterminants dans cette belle aventure.

La tortue-lièvre s'est essentiellement nourrie de l'amitié qu'ont cultivée pendant plus de soixante ans Édouard et Simone Jaguer.

Comme le rappelait Édouard Jaguer dans son poème Concession perpétuelle paru dans la revue Edda, numéro 2 en mars 1959 :  

« J’entends que les rassemblements
se fondent sur la seule amitié. »